Grand Homme - We Did It !

Un lopin de terre pour sortir des rues de Madagascar
jeudi 18 juin 2020 02:00
Sœur Francine Razafindrabodo
We did it

Les catastrophes naturelles sont le lot quotidien de la population dans notre région de Fianarantsoa. Ce phénomène est aggravé par l’instabilité politique chronique du pays. L’insécurité et la pauvreté frappent violement certaines couches de la population, de nombreuses personnes en situation précaire errent à la recherche d’une vie meilleure.

Les familles modestes perdent le peu qu’elles ont : travail, maison, et surtout bétail si convoité. Elles se trouvent dans une misère totale. L’exode est l’unique solution des ruraux pour fuir les atrocités des bandes organisées et régulièrement assistées par quelques riches personnalités. En ville, ils épuisent vite leurs maigres économies et la rue reste leur dernier refuge …

La perte des droits est la première conséquence de cette situation, mais la perte de la dignité est bien pire ! Les personnes de la rue s’adonnent à l’alcool, à la drogue, à la prostitution avec tout leur cortège de misères : syphilis, tuberculose, voire SIDA.

En 2018, le pays est frappé par le cyclone AVA qui détruit les habitations et fait de nombreuses victimes. Du jour au lendemain, le nombre des « 4 MI » a quadruplé (4MI : Mifoka : il fume, Misotro : il consomme de l’alcool, Migoka, Miloka : il joue avec le peu qu’il gagne). Au fil du temps, ces hommes ne sont plus capables de bénéficier d'un emploi stable et  ils se contentent de petits emplois : faire des lessives, vider les poubelles de la ville, être dockers chez des petits commerçants. Dès qu’ils gagnent un peu d’argent ils le dépensent dans l’alcool sans se soucier de leur famille…

Quant aux enfants, ils sont livrés à eux-mêmes et survivent en quémandant ou en aidant les dames à porter leurs sacs après leurs achats… C'est ainsi qu'ils gagnent leur nourriture. Ne pouvant plus compter sur leurs parents, ils grossissent le nombre des enfants de la rue ! La vie de famille est devenue le chacun pour soi.Fortes de l’appel du Pape François à « Aller aux périphéries » et des recommandations des supérieurs lors de chaque temps fort liturgique et des fêtes de notre Famille Vincentiennes, nous avons entrepris une révision de nos œuvres quotidiennes en nous faisant proches des « sans abris » : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli ». 

Nous avons ainsi décidé de loger quelques sans abri que nous côtoyions dans les locaux d’un ancien centre pour enfants délinquants, doté de terrain cultivable.

Les étapes du projet

La première démarche a été de présenter les bénéficiaires aux autorités élues du quartier et d’entamer les démarches administratives pour leur rendre leurs papiers d’identité brûlés lors des « ratissages » de la ville au moment du passage des hautes personnalités. 

Pour une meilleure intégration dans le système d’organisation communautaire du quartier, nous avons sensibilisé les familles pour qu’elles aient une certaine discipline.

Leur prise de conscience a été nécessaire pour que leur logement soit bien entretenu et pour leur apprendre à entretenir avec régularité un lopin de terre et cultiver des légumes: patates, maniocs en plus de leurs petites activités habituelles. Une sœur était chargée de les accompagner pour la culture. Des efforts particuliers ont été demandés aux hommes pour sortir peu à peu de l’alcoolisme : nous savons que c’est le travail le plus laborieux.

Les enfants ont dû s’engager à aller à l’école tous les jours (une autre sœur suit les présences) et le catéchisme est assuré par les jeunes Lazaristes en formation qui habitent non loin du centre. La santé des familles est suivie par un médecin du centre diocésain qui accueille les personnes dans le besoin, en collaboration avec une sœur infirmière

Les familles ont une réunion mensuelle pour un compte rendu de ce qui s’est passé au centre durant le mois écoulé pour vérifier comment se déroule les cultures, la convivialité entre eux, la santé et les études de leurs enfants.

Nous prenons conscience plus vivement que :

L’insertion, la conscientisation et l’organisation demandent patience, fermeté et tolérance envers ces familles qui partent de zéro.

Nous savons que c’est un travail de longue haleine. Quand il arrive à l’un d’eux de ne pas suivre le règlement (par exemple ne pas revenir auprès de leur famille pendant deux ou trois jours, ce qui résulte normalement un renvoi du centre) ils demandent pardon au groupe et ils redémarrent encore une fois plein de bonne volonté.

Ils se rendent compte que le travail est le point primordial pour qu’ils oublient leurs défaillances.

Leur état généralement affaibli par leur vie antérieure rend les efforts physiques soutenus difficiles et ils n’arrivaient pas à cultiver une surface suffisante pour subvenir aux besoins de leurs famille.

Depuis l’arrivée du mini tracteur pour les soutenir dans la culture la production a pu augmenter.

Découvrez les témoignages de bénéficiaires

David un ancien alcoolique en cours de désintoxication, a reçu récemment sa nouvelle carte d’identité. Il s’est exclamé : « Enfin je vais pouvoir voter aux prochaines élections ! Cela faisait 10 ans que j’avais perdu tous mes droits. » Le sevrage de l’alcool est un travail de longue haleine, mais l’agriculture de son lopin de terre lui permet de ne plus retourner à la décharge et de gagner sa vie pour faire vivre toute sa famille.

Thérèse, est veuve et mère d’une famille de six enfants. Tout juste arrivés en ville espérant trouver de quoi bien gagner leur vie, le père a été emporté par la tuberculose. La famille s’est rapidement retrouvée à la décharge pour chercher des déchets à revendre, faute de pouvoir payer leur loyer. Accueillis au centre tenu par les Filles de la Charité, elle est parmi les plus motivés des travailleurs et subvient aux besoins de toute sa famille grâce à ces terres agricoles qu’elle cultive.

Le projet réalisé

Le terrain étant cultivé pour la première fois, la préparation du sol a été très laborieuse : nous avons commencé par débroussailler et mettre des engrais avant l’arrivée du mini tracteur.Les  premières récoltes ont été satisfaisantes, chaque famille ayant pu cultiver patates douces, manioc ; haricot, maïs, pistache, et autres pour se nourrir.

Grâce au tracteur, la production de ces légumes a rendu service à chaque famille durant ce temps de confinement où les parents ne pouvait pas chercher de travail. Chaque famille a pu manger ce qu’elle avait cultivé même si celle-ci n’était pas suffisante pour toute la durée du confinement.Cette situation nous a fait réaliser que les terrains cultivables disponibles étaient trop petits par rapport au nombre de familles accueillies : peut-être une idée pour un nouveau projet

19 adultes et 36 enfants ont pu profiter du projet et sortir de la misère

Nous continuons à aider la prise de conscience dans les familles pour leur donner envie d’être autonomes.

C’est un travail qui demande de la fermeté, de la patience et surtout de l’indulgence pour qu’ils puissent se reprendre en cas de chute ; et qu’ils gardent l’envie de recommencer pour enfin s’en sortir.

Merci pour votre aide et votre générosité, pour la réalisation de ce projet

"Grand Homme"