Inès, une soeur dans la ville

Article d'Anne Fulda - Le Figaro - 24/12/2015
Friday 25 December 2015 01:00
Clément Couturier
Le Figaro Article presse

 

Fille de la Charité de saint Vincent de Paul, cette infirmière a été missionnaire au Pérou et vit actuellement en communauté à Lyon. 

 

 

Elle parle d’une voix posée. Veille à utiliser les bons mots. À être le plus juste possible. Elle n’esquive aucune question. Ne se cache pas derrière son petit doigt pour dire ce qu’elle pense. Elle vit de plain-pied dans la société, s’informe en regardant le journal télévisé, en lisant les journaux et en écoutant, aussi, parfois France Culture. Sœur Inès est une citoyenne du XXIe siècle, qui vote quand elle peut - aux élections européennes et municipales (elle est belge). Une citoyenne digitale qui a un portable, surfe sur la Toile et communique par e-mails. « Une petite sœur du crowd » que nous avons rencontrée, lors du lancement, il y a quelques semaines, d’une plateforme de crowdfunding solidaire, initiée par les Filles de la Charité de saint Vincent de Paul, « plus connues pour leurs cornettes que pour leur maîtrise des dernières technologies », comme le précisait le communiqué de presse.

 

Le jour de notre rendez-vous, au siège de la Compagnie de saint Vincent de Paul, dans le VIIe arrondissement de Paris, rue du Bac, point de cornette ni de voile. Sœur Inès est vêtue de beige. Elle a porté le voile lorsqu’elle était en mission, au Pérou, mais, pour elle, l’habit ne fait pas la sœur : « On vous repère plus facilement et on vient vers vous ou vous évite. C’est un avantage et un risque à assumer », analyse-t-elle avant de trancher : « L’essentiel c’est d’être habitée. Comme Fille de la Charité, c’est vivre en présence de Dieu, du Dieu de Jésus-Christ, se laisser revêtir par Lui. » Clairement, sœur Inès est « habitée ». Sans violence ni passion. Sereinement. Elle a un regard distancé mais concerné sur les débats qui traversent notre société. Sur la laïcité - « une vraie chance pour la pluralité de pensée, de philosophie et de religion mais quand ça devient un combat, une mise à l’écart, cela ne va pas, la société se prive alors d’une part de ce qui la fait exister » -, ou le port du voile. « Si ça enferme, si c’est un carcan qui empêche de se frotter à la pâte humaine, cela ne va pas », dit-elle lors de notre entretien. Avant de préciser plus tard, par écrit : « Je ne m’autorise pas à dire ce que peut vivre une femme musulmane. Je connais de sacrées bonnes femmes musulmanes voilées et libres, épouses de maris respectueux. C’est tout ce que je peux dire. Pour moi, je parlerais de liberté. »

 

Née en Belgique, à Verviers, Inès Barnabé n’a pas vraiment grandi dans un milieu religieux. Ses parents (un père pompier et une mère à la maison) fêtaient certes Noël et Pâques mais ils n’étaient « pas du tout catholiques » : « Ils avaient jeté le bébé avec l’eau du bain », dit-elle drôlement, en précisant qu’elle a été baptisée, parce que c’était le souhait de sa grand-mère, surnommée « Mémère ». C’est en entendant lors de la messe de minuit, diffusée à la télé, le pape Paul VI faire un appel à la mission, qu’elle choisit sa voie. « J’avais 10-11 ans, je me suis dit que je serais missionnaire. » Une décision qu’elle a longtemps gardée pour elle, ne parvenant à dire la vérité à sa famille, plutôt « bouffeuse de curés », qu’à l’âge de 27 ans ! Avant de se consacrer pleinement à Dieu, à découvert, elle s’épanouit à la chorale ou en aidant des personnes dans la détresse en leur portant des couvertures ou des provisions. Elle se souvient notamment de cette femme de 90 ans qui lui fait comprendre « qu’une personne pauvre est riche d’être ». Des paroles qui resteront gravées en elle. Après le lycée, celle qui est encore Inès Barnabé entame des études d’infirmière avant d’entrer au séminaire. Tentée un temps par la vie contemplative, elle se rapproche des cisterciens, enchaîne les retraites en silence, avant de trancher : « On n’a pas besoin d’être dans un cloître pour contempler. »

 

Sa mission au Pérou la marque particulièrement. « J’ai vécu huit ans dans une communauté de six sœurs au service de personnes souffrant de troubles psychiques. » Huit ans qui lui ont permis, résume-t-elle fièrement, d’accompagner plus de 1 400 malades. Mais aussi de s’occuper de jeunes étudiants et d’enfants. À l’évocation d’un petit garçon de 7 ans, qui avait « une soif d’apprendre phénoménale », son visage s’éclaire tout d’un coup d’un éclat particulier. Elle le reconnaît : ne pas avoir d’enfant a été « évidemment » une souffrance. Et de se souvenir : « Au début, il y a plein de gens qui vous plantent des bébés dans les bras » et « jusqu’à 40 ans, cela vous passe par la tête », se remémore-t-elle, précisant, avec une étonnante franchise : « Si je vis le manque d’enfant comme un arrachement, un manque plutôt qu’un don, je tourne vinaigre. Je suis de chair mais il faut revenir à l’amour premier. On ne peut vivre sans la présence de Celui à qui on s’est donné. »

 

Revenue en France, sœur Inès vit aujourd’hui en communauté, à Lyon : « Un lieu de vérité. Il est impossible de cacher qui on est, quand on vit et partage, quand on a à prendre des décisions en commun. » Ce qui, admet-elle, peut parfois engendrer des petites tensions. « Comme dans tout groupe humain, cela peut coincer… et c’est là que le Seigneur nous attend. » En charge de l’accompagnement des malades en hôpital psychiatrique mais aussi de personnes vivant dans le dénuement le plus total, en cette période de Noël, sœur Inès entend plus que jamais se « laisser toucher dans sa chair par la vie de tous ceux qu’elle rencontre et spécialement les plus pauvres ». Une manière de porter plus que jamais la parole de saint Vincent en étendard : « Les pauvres sont nos maîtres. »

 

Anne FULDA